Les couleurs vont s’estomper

7 avril 2016

22 ans dans le quartier, et 15 dans cette maison. Un rendez-vous, une Etude notariale chic et élégante du haut XVIè arrondissement de Paris, des initiales au bas de quelques dizaines de pages, copies comprises, et deux signatures plus tard…

Une page tournée, la fin d’un livre à remiser dans une bibliothèque. Après une nuit riche de rêves, ce matin, la gueule de bois sans absorption de degrés volumétriques.
« C’est étonnant qu’il ait fallu attendre hier pour que tu le vives difficilement. Cela fait des mois que tu as pris la décision. Et je pensais que tu avais besoin de mouvement… »
Oui, c’est vrai j’avais besoin au moins de dépasser cette date. Assez aussi d’attendre. Et puis le mouvement est dans l’ordre des choses. Par définition surement. Ne prête t’on pas à Boudha ce mot juste « il n’existe rien de constant, si ce n’est le changement ? »

Mais ce n’est pas un tout sans nuances. La logique de mouvement est un passage obligé et la vie s’est chargée de m’orienter selon un dessein connu d’elle seule et de ses facéties. Sans pour autant modifier un quelconque plan de carrière, car pour cela encore aurait-il fallu qu’il existât. Sa dernière plaisanterie m’a conduit à prendre le maquis au vert professionnel voici 4 ans après une mise au ban violente et agressive. Face à autant de signaux, il eut été folie et injure à la vie de ne pas entendre. Et la vente de la maison fut décidée.
Oui, la décision était prise voici longtemps. Et il y a eut les travaux de propre, les visites, les négociations, un accord de principe, le compromis enfin. Des papiers à fournir… Une date difficile à caler et même un rendez-vous accepté l’avant veille, aux relans de passage de témoin. « L’interrupteur commande cette prise. Le parquet est vernis mat et une serpillière bien essorée suffit… La grille c’est un coup à prendre, mais attention le maniement est dangereux… ». Une musique. Un orgue de barbarie.
Mon ami d’enfance, notaire de son état et attaché au temps qui passe, soucieux de l’histoire est venu. Aimant, protecteur pour les souvenirs d’ailleurs. Professionnel pour la signature.
Hier, une ouateuse matinée de printemps, les phrases parviennent assourdies, les mouvements se décomposent au ralenti face à mes yeux pourtant grands ouverts mais rougis par l’assaut de pollen. Je suis si loin. Aujourd’hui, un réveil avec des douleurs partout ; comme passée sous le rouleau compresseur de la mémoire.
« Et j’ai vraiment cru que tu voulais que cela aille vite. » Ben oui un peu comme une purge à prendre, une cuillère d’huile de foi de morue, de ces potions imbuvables chères à la littérature enfantine de nos parents… On ne va pas traîner non plus ; c’est fortifiant, pourquoi ne pas le croire ? Mais et puis quoi ? on ne va pas en redemander un peu de la mixture pour être sure de ne pas se tromper ? C’est la raison pour laquelle, j’ai profité aussi que d’autres fassent l’article de la maison. Tellement ravie d’être loin pour éviter les relevés de compteurs. Si satisfaite de l’urgence de l’acheteuse… Comme si sa vie en dépendait. D’ailleurs je ne la connais pas, peut être que sa vie en dépendait finalement.

Poussée à le faire, ravie du rythme donné, puis ce matin sonnée. Malgré tout. Malgré le réalisme que la légende m’octroie.
Pas besoin d’être psy pour y voir la difficulté du passage à l’acte. La digestion difficile. On a beau se préparer, savoir que c’est un moment, un rendez-vous structurant, plier les genoux pour amortir le choc. On a beau avoir conscience d’une certaine relativité du choix, pressentir que partir c’est laisser de la vie, des morceaux, des souvenirs… On n’évite pas la collision. On se la prend, là, dans la tête. Bien au milieu. Avec des ondes en cercle excentriques qui se répandent et s’éloignent, comme en échos.
La porte qui se ferme, le déménagement, la nuit de fièvre auprès du poële, le départ de Boubou, la foison de roses couleur champagne et leur rosier qui croule sous le poids. Le départ aux urgences en pleine nuit avec ce phlegmon, maladie snobe parce que rare. Les matinées lumineuses d’été. Les retours de nuit sous la neige et ces rencontres avec des renards ou des belettes curieuses dans ce quartier à l’aune de la forêt si près de Paris. Les soirées entre amis hiver ou été, Papa qui s’éteint. Les fêtes, les invités assis dans les escaliers, les enfants qui viennent manger leur gouter dans le jardin. Les chiens qui jouent, le footing dans les allées forestières, les clopes allongées dans l’herbe du jardin. Pour remonter à cette journée où les potes réquisitionnés avaient porté les cartons. Une autre signature et plus loin encore ces promenades et le rêve de venir un jour habiter dans une de ces petites rues calées entre ville et campagne. Construire, toujours. Avancer, encore.
Aujourd’hui pour la première fois je n’ai pas grandi. J’ai vieilli.