One art (Elisabeth Bishop)

11 avril 2015

Dans l’art de perdre il n’est pas dur de passer maître ;

tant de choses semblent si pleines de l’envie
d’être perdues que leur perte n’est pas un désastre
Perds chaque jour quelque chose. L’affolement de perdre

tes clés, accepte-le, et l’heure gâchée qui suit.

Dans l’art de perdre il n’est pas dur de passer maître.

Puis entraîne-toi, va plus vite, il faut étendre

tes pertes aux endroits, aux noms, aux lieux où tu fis

le projet d’aller. Rien là qui soit un désastre.

J’ai perdu la montre de ma mère. La dernière

ou l’avant-dernière des trois maisons aimées : partie !

Dans l’art de perdre il n’est pas dur de passer maître.

J’ai perdu deux villes, de jolies villes. Et, plus vastes,

des royaumes que j’avais, deux rivières, tout un pays.

Ils me manquent, mais il n’y eut pas là un désastre.

Même en te perdant (la voix qui plaisante, un geste

que j’aime) je n’aurai pas menti. A l’évidence, oui,

dans l’art de perdre il n’est pas dur de passer maître

même s’il y a (écris-le !) comme un désastre.

Ce poème a été traduit par Alix Cléo Rouaud, Linda Orr et Claude Pouchard.