Un combat pour tout.e.s
23 janvier 2025

- Written by: Fred-Marie
- Categories: LGBT+,Non classé
- Tags: feminisme, homophobie, lesbienne, lesbophobie, LGBT+, noemie de lattre
Je suis allée voir Noémie de Lattre avec une amie. Drôle et profond. Un manifeste politique inspirant, une langue ciselée. Comme femmes nous nous sommes retrouvées ; comme lesbiennes nous avons vécu notre singularité.
« le tabou des règles » m’avait servi de carte de visite pour présenter l’artiste que nous allions voir.
Au fil des années le propos s’est densifié et Noémie de Lattre parle de toutes les femmes. Nous nous sommes demandées néanmoins en sortant comment les hétéros -très largement majoritaires dans la salle- allaient traduire cette démonstration qui se traduit en appel à construire un monde différent. Nous avons échangé avec une quadra qui s’éloignait comme nous du théâtre. Elle nous a répondu avoir, après un premier spectacle, déjà modifié sa façon d’appréhender et vivre le sexe.
une terra incognita malgré notre communauté de sort
La question que nous échangions n’a rien de neutre et répondait à une interrogation que nous partagions. Parce que nous nous sommes vues et retrouvées évidemment dans le constat général : nous sommes des femmes et à ce titre nous reconnaissons facilement la toute-puissance d’un patriarcat totalement intégré dans la marche du monde et souvent, de fait, transparent. Mais en tant que lesbiennes de 60 ans (le temps passe), qui avons construit notre vie dans une dimension parallèle à ce qu’elle décrit de son parcours de façon crue pour une plus grande efficacité, nous avons plongé toutes les deux dans un monde inconnu de nous. À la verticale nous avons beaucoup de choses en commun. À l’horizontal c’est moins vrai. Nous avons ressenti combien il est difficile d’évoluer dans l’intimité à l’encontre d’un système référentiel si pénalisant. Emprisonnant même dans un combat de tous les instants pour vivre ses propres ambitions et rêves.
Dans notre univers personnel, en décidant d’être qui l’on est, nous nous sommes affranchies du rapport de domination homme-femme et avons construit d’autres références. Même si certaines reproduisent encore parfois des stéréotypes, dans notre pratique de la sexualité, et nonobstant le danger des généralisations, nous pouvons dire que le plaisir de l’autre est prioritaire dans notre échange et nous participons à élaborer un autre univers, singulier.
Plus facile d’être lesbienne ?
En revanche, nous avons sursauté au même instant quand Noemie de Lattre a laissé entendre qu’il serait beaucoup plus facile d’être lesbienne dans ce concert où l’homme est chef d’orchestre naturel. Dans mon exercice professionnel comme journaliste puis dans mes responsabilités de cadre dirigeante dans une grande entreprise supposément plus avancée que d’autres sur ces sujets, j’ai milité pour les droits LGBT+ en co-fondant une association avec trois amis gays à France télévision. Notre objectif initial, ré affirmé au fil des années, était de lutter pour l’inclusion et contre les discriminations en interne, et pour une meilleure représentation des minorités sur les écrans afin de créer des rôles modèles. Par cet affichage, cette affirmation et le témoignage, il était question aussi de permettre à des personnes, et notamment des jeunes, de se construire en sachant qu’elles et ils ne sont pas isolé.e.s…

« L », la lettre la plus invisible de l’acronyme
Si j’ai vu des progrès -toujours fragiles et en danger comme on le voit avec l’avènement des régimes illibéraux- la lettre la plus invisible de l’acronyme LGBT+ reste le « L ». Car en plus de pâtir de tous les maux liés à notre « fémininitude », nous représentons une menace.
Parce que justement nous nous sommes affranchies de la domination. Parce qu’en choisissant de vivre notre vie, pleinement, entièrement, nous avons rejeté le modèle dominant ; parce que nous prouvons que c’est possible de vivre sans ombre tutélaire masculine à demeure. Parce que nous avons de facto refusé d’être une propriété, appris l’autonomie, progressé dans notre capacité à affronter les peurs séculaires de la solitude si bien décrites dans le spectacle. Et surtout parce que nous avons refusé notre rôle exclusif de matrice. Nous ne sommes d’ailleurs pas vues comme un réceptacle, un ventre. Et à ce titre rejetées parce symbole de la remise en cause de l’ordre depuis si longtemps huilé du patriarcat.
En me retournant sur mon parcours, j’ai souvent senti cette faute originelle qui est la mienne de ne pas jouer le jeu. Être davantage empêcheuse de tourner en rond et à titre collectif un danger pour l’équilibre. Si j’ai profité du vide laissé par mes corrélegionnaires à un âge où la maternité les éloigne des entreprises, il n’est pas facile d’être « gouine » et ne pas avoir d’enfant comme lesbienne signe une faute plus grande encore.
un fantasme pornographique
Et dans l’univers, nous restons invisibles. Le 40 eme anniversaire de la dépénalisation de l’homosexualité, célébré récemment, est éloquent à bien des égards. À t’on relayé vraiment que cette loi portée par un homme, Robert Badinter, avait été écrite par une femme, Gisèle Halimi ? A t’on souligné qu’il s’agissait uniquement de l’homosexualité masculine tout simplement parce qu’aux yeux du monde, donc à ceux de la loi, l’homosexualité féminine n’existe pas ? On ne peut légiférer sur un fantasme pornographique masculin, cela ferait désordre.
La sexualité de deux hommes se conçoit. Certes en distinguant et stigmatisant le passif au profit de l’actif, comme s’il n’y avait qu’une unique sorte de schéma. Mais la sexualité entre femmes ne résiste pas au phallocentrisme de nos repères collectifs. Ne parle-t’on pas de préliminaires pour les hétérosexuels, comme s’il manquait le vrai pour nous. Oubliant, sans doute, sciemment le pourcentage largement supérieur d’orgasmes féminins comptabilisés par les études en comparaison des couples hétérosexuels -avec ou sans jouets.
Malgré l’évolution, et non pas seulement lors des repas de famille arrosés, que n’entend t’on encore ces réflexions ordinaires sur l’incompréhension de notre vie de couple « et qui fait l’homme ? ». Ou sur le choix que nous aurions fait, et bien sûr par défaut, parce que l’on n’a pas rencontré le bon ; réflexion concomitante à une proposition de services évidemment !
Le silence et la discrétion pour survivre
Dans le monde du travail, les gays sont quand même des hommes. Les lesbiennes pas même des femmes. Une part importantes d’entre elles chez les cadres affirment au vue de leur expérience combien leur orientation sexuelle reste un motif de progression moins rapide. D’ailleurs même dans les grands groupes et firmes, elles se cachent davantage que les gays ou à tout le moins évitent d’en parler et surtout ne souhaitent pas le porter, témoigner, bref le transformer en acte militant – contrairement aux garçons- au prétexte de la séparation du privé et du public. Or l’on sait bien que ce réflexe de silence est le résultat d’un conditionnement séculaire de la discrétion des femmes pour survivre. Et que seule la parole peut permettre d’inverser la tendance et à d’autres moins favorisées de prendre la parole à leur tour.
Les coming out d’hommes connus, en politique par exemple, se sont multipliés ces dernières années. Le silence est toujours assourdissant du côté des femmes.

Les hommes victimes d’homophobie portent plainte davantage que les femmes en but à la lesbophobie, singulière à tous ces égards. La médiatisation de ces affaires est plus grande pour les gays.
Je pourrai continuer ma description encore longtemps.
une invisibilisation participative
Récemment une de mes amies, hétéro et bien comme telle, pourtant sensibilisée à la route remplie d’embuches dans l’acquisition des droits des femmes, a également livré sa perception : il serait plus difficile d’être un gay aujourd’hui que d’être lesbienne. D’où parlait elle ? Incluait t’elle dans sa vision ces femmes qui se font violer par un père, un copain du frère ou un voisin pour les remettre dans le droit chemin et dont on ne parle jamais ? Sans doute pas plus que de cette myriade d’éléments dont j’ai esquissé un tableau. Ce faisant en tous les cas, elle contribuait sans le vouloir, sans le concevoir même, à l’invisibilisation d’une partie de ses sœurs. Elle donnait de la voix à une légende que le système se complaît à reproduire. Et ce faisant à consolider les idées reçues par delà les progrès obtenus de haute lutte de toutes les femmes face au patriarcat triomphant encore.
D’autres straights, parfois de bonne foi, (dé)nient nos singularités dans le monde des femmes. Elles considèrent que nos revendications, liées à notre expérience des discriminations spécifiques autant qu’à celles de nos ainées ne sont qu’une volonté de nous distinguer qui n’a pas lieu d’être ; quand elle ne met pas en danger l’universalisme fragilisé par la reconnaissance des individualités.
Nous avons ressenti durant ce spectacle une certaines forme de souffrance, au delà de la connaissance que nous en avions. Celle des hétéros totalement conscientes contraintes de fréquenter les hommes en construisant un couple et composant avec les dominants -même pour les plus éclairés- et participant -malgré elles- à reproduire souvent les schémas à défaut de tous les exploser comme elles aimeraient le faire. Noemie de Lattre apportait une preuve supplémentaire qu’il est bien difficile de se battre contre un système autant que de se départir des réflexes conditionnés par des siècles de culture et d’éducation.
réduire les personnes à leur rôle de procréation
Nous sommes ressorties plus convaincues encore qu’il nous faut développer la conscience autour de nous toutes et ensemble progresser pour les suivantes. Toutes les suivantes. Contre les mouvements de fond. À fortiori à l’aune d’une vague de réaction officiellement déclarée avec l’investiture du 47 eme président des États Unis. Le décret de Trump sur l’annulation de toute possibilité de reconnaissance légale de l’identité de genre ne s’attaque pas qu’aux transgenres. En utilisant la notion exclusive de gamète pour définir les individus -ovules et spermatozoides- il réduit les personnes à leurs seules caractéristiques biologiques. Pour définir leur rôle dans la société. Pour assigner les individus à leur seul rôle de procréation. Apparait clairement la volonté de s’attaquer aux droits des femmes, et le premier d’entre eux, l’avortement ainsi qu’aux droits de toutes les minorités. Car l’important ne reste t’il pas de renvoyer les femmes à la maternité et les hommes comme bras au service de l’économie ou de la guerre ?