10j, 109h… et des pleurs

10 février 2013

#mariagepourtous. Cette année 2013 restera longtemps dans les mémoires. Comme 1905 ou 1981, pour la séparation de l’église et de l’Etat ou l’abolotion de la peine de mort. Comme 1982, quand la chambre des députés a effacé la pratique de pénalisation pour les hommes de l’homosexualité. 2013 restera dans les mémoires parce que c’est une date clef. Pour les acharnés de tous poils qui crient aux actes « contre natuuure ». Pour nous aussi. D’abord.

Des heures et des heures j’ai passé devant le site de l’Assemblée Nationale en direct les travaux de la représentation nationale pendant 10 jours. Quelle que soit l’heure ; un peu la journée. La nuit beaucoup. Sans jamais assez saluer internet et sa capacité à remettre le débat public au cœur de la société.  Aujourd’hui j’avoue être épuisée. Et avoir pleuré à 5h40 samedi matin à l’issue de cette première lecture. De joie surement, mais aussi de tristesse.

«  J’ai été enfant de chœur, ancien combattant, militant socialiste et tenancier de bistrot. C’est dire si j’en ai entendu des conneries » fait dire Michel Audiard à Robert Dalban… Encore n’avait-il pas assisté aux plus de 100 heures de débat sur le texte ouvrant le mariage et l’adoption aux couples de même sexe. Et ne s’était il jamais farci, la longue et incroyable litanie de la minorité parlementaire. Ils ne se sont rien refusés. Et de décliner au cours des 24 séances, sur tous les tons, au gré de tous les procédés répétitifs, toutes les facilités, toutes les agressions, une volonté de traîner,… Et quoi qu’ils s’en soient défendu, une vraie politique d’obstruction…

Agiter le chiffon rouge, surfer sur les peurs ou les réflexes les moins généreux de nos concitoyens. Ils ont excellé sans rien oublier. Souvent avec confusion des genres, entre hémicycle et salle de tribunal, certains répétaient à l’envi qu’ils voulaient « faire triompher la vérité ». Instruire et mener un procès -tels des procureurs- contre des vies dont ils ne veulent en aucun cas, même si cela ne les touche en rien directement.  Parce qu’elles ne coïncident pas avec leur dessein d’uniformisation. Parce que le modèle dominant est expansionniste et n’entend pas laisser de place aux autres. Comme si en matière de style de vie, ce modèle dominant devait être imposé aux minorités, qui n’ont qu’à bien se ranger – avec un petit effort quoi- aux modes de fonctionnement du plus grand nombre. Et l’accepter. Un point c’est tout !

Poncifs, idées reçues, jugements de valeur sur fond de morale chrétienne. C’est ainsi que jeudi alors que j’étais dans la tribune de presse j’ai entendu qu’il « existe une différence affective entre le père et la mère vis-à-vis de l’enfant. Qu’un homme ne sera jamais comme une mère… » C’est heureux dans bien des cas. Dans l’hypothèse contraire, si mon père avait ressemblé à ma maman, je n’aurais été que bien peu maternée, cajolée. La nature ayant horreur du vide, et quel que soit le sexe, celui qui m’a élevée, accompagnée, n’était pas celui des deux qui m’avait portée. L’instinct maternel n’était pas là où on l’attendait. Je m’en suis pas accommodée… Je n’avais de fait qu’un parent, un seul sexe qui cumulait toutes les fonctions de père, de mère, de frère… Et j’en fus heureuse et épanouie.

Quel goût laisseront ces accusations aussi erronées et malhonnetes les unes que les autres ? « Si on avait pris le temps de la discussion, de l’écoute. » Il faut être sacrément cablé pour pouvoir énoncer une telle phrase sans moufter, rougir ou éclater de rire ! Et faire pleurer son interlocuteur devant tant de mauvaise foi politicienne. Que pouvait on faire à quel que niveau que ce soit, pour écouter mieux, expliquer plus ? Que pouvait on envisager pour répondre sur le sujet alors même que l’opposition ouvre sans cesse des brèches, construit des fables en utilisant perpétuellement des éléments ne figurant pas dans le texte. Tels les procès de Prague qui accusaient les supposés opposants au régime taxés de desseins cachés, alors même que leur seul crime était de réclamer plus de démocratie, de liberté, d’égalité.

La mauvaise foi est criante. Depuis 5 mois, le débat s’est instauré partout. Dans les familles avec des crises parfois, et même dans les cas extrêmes des ruptures, dans les entreprises, les cafés. Le tout suivi (rarement devancé) par les médias usuellement normés. Depuis 5 mois les opposants, pour des raisons électoralistes dans le meilleur des cas, ou par conviction teintées de religion pour les autres, psalmodient sans vouloir entendre les arguments. Sans voir ni vouloir prendre conscience de l’évolution de la société dans ce qu’elle entend pour une partie vivre maintenant au grand jour, ce qu’elle cachait depuis si longtemps. La société telle qu’elle existe dans les faits et non cette fiction de la famille immuable telle qu’elle est dessinée dans la Bible, le Coran ou la Torah. Et toujours depuis 5 mois, certains édiles au nom de la morale ou de la nature, ont ouvert la boite de pandores et par leurs propos relancé, ravivé les couleurs de l’homophobie, autorisant grand nombre à se lâcher. Certaines saillies à l’assemblée furent emblématiques.

En face, la minorité d’homosexuels depuis tout ce temps avale ce qu’aucune autre minorité, culturelle ou raciale n’aurait supporté sans émeutes !

Il m’aura fallu attendre 49 ans et leur entreprise de démolition pour apprendre que je n’était pas une femme comme les autres.

Il m’aura fallu entendre raconter leurs histoires construites « pour se faire la peur la nuit », pour qu’enfin je vois le monde dans ce qu’il a aussi de laid, que j’entende les insultes que je m’étais toujours évitée, que je sache que mes préférences avaient tous les risques de m’amener à la pédophilie, voire à la zoophilie. Mon intention ici n’est pas de caricaturer les propos ou l’attitude de l’opposition. Elle se débrouille très bien sans moi pour ce faire. Non seulement elle ne s’est pas levée, insurgée contre les dérapages, mais les a veillés avec la tendresse de ceux qui vont utiliser les courants.

Ce qui les dérange le plus dans cette loi n’est pas ce que l’on croît. Le crime de lèse majesté est sans conteste la remise en cause du système patriarcal séculaire. Les changements font peur. Ils sont d’autant plus rejetés par les vrais tenants du pouvoir peu désireux d’en abdiquer une partie. « 1 homme et 1 femme ce n’est pas la même chose physiquement… mais socialement aussi. » Et si l’attention a été cristallisée par l’article 1, qui reconnaît le mariage pour tous, la charge symbolique est autrement plus forte dans l’article 2. Le rejet de l’évolution de la filiation est encore un combat prétexte. En fait, et peu (très peu) l’ont souligné : la véritable révolution portée par cette petite femme noire -avouez que ses défauts sont grands- est ailleurs.  La lutte trouve tout son sens au regard de l’abandon de la prédominance instituée du nom du mâle sur celui de la femelle.

Beaucoup de journalistes n’ont pas fait le job le plus souvent en n’insistant pas sur les véritables enjeux juridiques, en laissant dire des contre-vérités. Par manque de temps ? par manque de rigueur ? Ou par suivisme ? Le plus emblématique fut la soi disant disparition des mentions de père et mère, et leur remplacement par époux… Il n’était pas compliqué de compter les occurrences dans le code civil tel qu’il existe encore aujourd’hui (304 occurrences). Et voir que le projet défendu en rajoute… 2. Jours et nuits, pendant 24 séances,  Christiane Taubira le répètera. Mais en dehors de ses envolée, bien senties, lyriques et/ou drôles, quels sont les compte-rendus qui se seront arrêtées sur le fond dans la presse grand public ? « Cela relativise l’effondrement que nous sommes en train d’organiser » dira t-elle une fois de plus jeudi 7 février.

Et puis que dire de cet engouement ce week-end pour la Ministre de la Justice ? les journaux tartinent depuis jeudi -et la sortie des hebdos- des hagiographies, sans doute aussi imprécises et erronées que les portrait précédents étaient souvent teintés de fiel voici peu encore. Je le dis ici avec d’autant plus de regret que je fais partie des fans. Celle qui devient l’icône des Gays et Lesbiennes, celle qui force le respect jusque et y compris de ses adversaires dès lors qu’ils cultivent un peu d’honnêteté, n’a pas attendu janvier 2013 pour être ce qu’elle est. Rouée sans doute, mais cultivée, passionnée, fine, exaltée,. Une femme debout. Une femme qui croit. Une femme qui se bat. Il ne fallait pas être grand clerc pour voir en cette femme, et à sa façon,  la digne succession de celles qui ont marqué l’hsitoire avec proche de nous Simone Veil ou Gisèle Halimi. Leur enfance similaire face aux difficultés rencontrées ont façonné leur énergie notamment pour gagner en égalité et en liberté, pour lutter contre les discriminations qu’elle soient de genre ou racistes. Leurs études de droit ou d’économie, leur foi dans les valeurs de la république les ont conduit à se mettre au service des autres. La politique et leur faim ont fait le reste. Souvent isolées dans leur famille d’origine, elles ont tracé leur sillon. Et forcent le respect. On peut, on doit les remercier non seulement pour ce qu’elles ont apporté mais aussi pour la voie qu’elles ouvrent et la référence qu’elles construisent pour les petites filles.

Alors oui j’ai pleuré dans la nuit de samedi. Pleuré parce que d’autres demain sans doute, n’auront plus à faire le choix de la raison comme de ne pas avoir d’enfant. dans un monde hostile.  Sans doute tout ceci n’aura pas été inutile, les plus jeunes et leur descendance en profiteront. Peut être demain d’autres que moi n’entendront plus des relents homophobes… Pleuré parce que la route est encore longue. Pleuré parce que dans une société de communication, où l’apparence l’emporte souvent in fine sur le fond, les raisons d’être confiant sont aussi fortes que celles d’être inquiet.

A tout seigneur tout honneur…
– Retour sur ces 10 jours et 24 séances avec le Lab d’Europe 1,

– Cinq minutes de Christiane Taubira pour tous de Libération

 

 

 

Mais ces 10 jours ne seraient pas ce qu’ils l’ont été sans cette face sombre et le meilleur du pire, les sorties des députés de droite